Inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité à l’UNESCO, la basilique Saint-Pierre est considérée aujourd’hui, comme la plus grande conception architecturale de son temps et demeure l’un des monuments les plus visités au monde.
Bramante, Michel-Ange et Le Bernin participèrent à sa réalisation sur l’emplacement même d’une ancienne basilique édifiée sous l’empereur Constantin.
Les travaux commencèrent le 18 avril 1506 et furent achevés en 1626.
La basilique devait être le bâtiment le plus somptueux et le plus splendide du monde !
Basilique Saint-Pierre
Saint-Pierre est la deuxième des 4 basiliques majeures de Rome, les autres étant : Saint-Jean de Latran, Sainte-Marie-Majeure et Saint-Paul-hors-les-Murs.
Pour financer sa construction, le pape Léon X (fils de Laurent de Médicis) décida en 1517 de réhabiliter la vente des indulgences.
Le commerce des indulgences venait de la possibilité dans l’Église catholique romaine d’acheter la rémission totale ou partielle de ses péchés devant Dieu.
Cette pratique remontait au IIIe siècle et était accordée en contrepartie d’un acte de piété (pèlerinage, prière, mortification).
Cependant, au fil des siècles, la vente des indulgences allait se transformer en un commerce très lucratif pour l’Église !
Le 31 octobre 1517, un homme se révolta ouvertement contre cette pratique en placardant sur les portes de la chapelle du château de Wittenberg, ses 95 thèses contre les indulgences !
Quand la bulle papale l’excommuniant lui parvint, il la brûla devant une foule admirative et dit à haute voix :
« Voilà comment je me rétracte, moi ! »
Comme nous l’avions vu dans Ouroboros 19, un vent de mécontentement et d’impatience contre l’obéissance aveugle à l’Église catholique soufflait en Europe du Nord et surtout en Allemagne…
Le monde aspirait à une plus grande liberté spirituelle et désirait se libérer des griffes de l’Église catholique !
Partons à la rencontre du rebelle excommunié qui échappa de justesse au bûcher grâce au soutien du prince de Saxe, Frédéric III « le Sage »…
Martin Luther
Martin Luther naquit le 10 novembre 1483 à Eisleben en Thuringe (Allemagne) et fut moine augustin, théologien et professeur universitaire à Wittenberg.
Il est considéré aujourd’hui comme le père du protestantisme et modifia profondément le cours de la civilisation occidentale.
Certains voyaient en lui la réincarnation d’Élie dont Malachie et Joachim de Flore avaient prophétisé le retour, annonciateur d’un Nouvel Âge.
Pour Luther, le salut de l’âme était un libre don de Dieu, reçu par la repentance sincère et la foi authentique en Jésus-Christ sans interception possible de l’Église !
Sa traduction de la Bible en allemand rapprocha encore davantage le peuple des Saintes Écritures et eut un impact culturel considérable !
Il participa à la large diffusion de la langue écrite allemande et exerça aussi une forte influence sur la traduction anglaise de la Bible du roi Jacques (KJV ou King James en anglais).
Cette dernière fut réalisée sous le règne de Jacques 1er d’Angleterre et publiée pour la première fois en 1611.
Sa réalisation s’est étendue sur plusieurs années et eut une influence considérable sur la littérature anglaise. L’équipe de traducteurs comptait le célèbre rosicrucien Robert Fludd !
Luther était immergé dans la pensée mystique, dans les enseignements d’Eckhart et de Tauler.
Son ami le plus proche était l’occultiste Philippe Melanchthon, le neveu du grand kabbaliste Johannes Reuchlin (1455 – 1522), le premier hébraïste allemand non-juif.
Luther avait pour habitude de communiquer avec le monde des esprits, il entendait des voix qui le guidaient…
Un jour, dans un geste qui resta célèbre, il jeta un encrier à la figure du Diable qui se moquait de lui !
La tradition secrète dit qu’il fit une fois allusion au fait qu’il était un « maître accompli », un terme qu’emploie habituellement un franc-maçon d’un certain degré pour se définir !
Johannes Reuchlin
Luther avait adopté la « Rose » comme symbole, approuvait l’alchimie et reconnut même qu’elle jouait un certain rôle dans la résurrection de l’humanité !
Cependant, sa rose était blanche, à cinq pétales avec une croix en son centre et ne représentait pas la rose rouge mystique des Rose-Croix, épinglée à la croix (matière) dans le but de la transformer !
Paracelse avait été un des premiers admirateurs de Luther mais il perdit vite ses illusions quand ce dernier promulgua sa doctrine de la prédestination qui semblait être une vieille idée élitiste romaine, camouflée sous un nouveau nom !
Si Luther n’était pas directement responsable des massacres de catholiques qui eurent lieu lorsqu’il accéda au pouvoir politique, il aurait pu au moins les faire cesser et changer le cours de l’Histoire !
L’Europe aurait alors peut-être échappé, plusieurs décennies plus tard, à la riposte catholique et au massacre de la Saint-Barthélemy, déclenché à Paris le 24 août 1572 et qui s’étendit en province, dans une vingtaine de villes.
Le soir du 23 août, à la veille du massacre des chefs protestants, le roi Charles IX se serait écrié de colère, sous les conseils répétitifs de sa mère (Catherine de Médicis) :
« Eh bien soit ! Qu’on les tue ! Mais qu’on les tue tous ! Qu’il n’en reste plus un pour me le reprocher ! »
Massacre de la Saint-Barthélemy
Luther avait été porté au pouvoir par un vent d’enthousiasme et de ferveur mystique mais lorsqu’il s’y trouva, il commença à craindre que cette même fièvre ne devienne une menace pour son autorité et tout ce qu’il avait accompli !
À la fin de sa vie, il était devenu morbide, paranoïaque et peu enclin à faire cesser les persécutions menées en son nom.
Après plusieurs périodes de dépression dues au décès de sa fille Madeleine, il mourut le 18 février 1546, affecté par la gravelle (ancien terme pour désigner les calculs rénaux).
Son corps repose aujourd’hui dans l’église de la Toussaint de Wittenberg.
Église de la Toussaint de Wittenberg
En dehors du pape qu’il haïssait, Luther s’en prit également aux Juifs, coupables de ne pas s’être convertis à la nouvelle religion et dont il souhaitait voir les synagogues brûler, les maisons détruites et l’argent confisqué !
De plus, l’Église luthérienne finit aussi par se retourner contre les Rose-Croix qui apparaîtraient aujourd’hui comme l’extrême gauche radicale de la Réforme protestante.
L’héritage de Luther a donc suscité beaucoup de polémiques et de controverses car en dehors des massacres de catholiques, son antisémitisme fut aussi utilisé au XXe siècle comme référence par les nazis pour justifier l’holocauste !
Mais à l’Âge d’or du protestantisme, un petit cordonnier disgracieux et inculte s’apprêtait lui aussi à entrer dans l’Histoire.
Il allait embraser l’imaginaire populaire !
Jakob Böhme
Jakob Böhme naquit à Alt-Seidenberg en 1575 et fut l’un des principaux représentants du mysticisme des Temps modernes en Allemagne.
Il est considéré aujourd’hui, dans certains milieux, comme l’un des plus grands gnostiques chrétiens et fut surnommé « Philosophus teutonicus ».
Ses parents étaient de simples paysans et après avoir reçu quelques leçons à l’école du village, Jakob fut mis en apprentissage chez un cordonnier.
Un jour, un étranger vint acheter une paire de bottes.
En partant, il appela Jakob par son nom et lui demanda de le suivre dans la rue…
Jakob était surpris que cet étranger connaisse son nom mais sa surprise fut encore plus grande quand ce dernier le fixa d’un regard pénétrant et lui dit :
« Jakob, tu es peu de chose mais tu seras grand et tu deviendras un autre homme, tellement que tu seras pour le monde un objet d’étonnement.
C’est pourquoi sois pieux, crains Dieu, et vénère sa parole ; surtout lis soigneusement les Écritures Saintes dans lesquelles tu trouveras des consolations et des instructions car tu auras beaucoup à souffrir, tu auras à supporter la pauvreté, la misère et des persécutions ; mais sois courageux et persévérant car Dieu t’aime et t’est propice. »
L’étranger disparut et Jakob ne le revit jamais mais cette rencontre l’avait profondément marqué !
Quand son maître le mit à la porte, il devint artisan itinérant et, à force de travail, finit par monter sa propre échoppe !
En 1599, il épousa la fille d’un boucher et s’établit comme maître cordonnier à la porte de Neisse derrière les remparts.
Un jour, il était assis dans sa cuisine lorsque le Soleil, qui brillait sur une assiette en étain, l’aveugle !
Pendant un moment, tout devint obscur puis graduellement, la table, ses mains, les murs, tout ce qui l’entourait devint transparent !
Soudain, il vit un nouveau monde lui apparaître et réalisa que son propre corps était transparent et se surprit en train de s’observer : le centre de sa conscience était sorti de son corps et se déplaçait librement dans le monde des esprits !
Ce fut le premier voyage de Jakob Böhme, de son vivant, à travers les hiérarchies spirituelles comme saint Paul, Dante ou le prophète Mouhamad avant lui…
D’une manière générale, Böhme avait un physique médiocre, il était petit avec un front étroit, mais à partir de cette étrange expérience, ses extraordinaires yeux bleus se mirent à briller d’une lueur étonnante !
Les gens qui le rencontraient étaient impressionnés par sa capacité à voir leur passé et leur futur. Il était parfois capable de parler les langues de différentes parties du monde, datant de différentes époques.
Sa deuxième illumination eut lieu un jour où il marchait dans les champs. Il sentit qu’il pouvait faire l’expérience du mystère de la Création !
Il écrira par la suite : « J’ai plus vu et connu en un quart d’heure que si j’étais resté de longues années dans une université. »
Ce que Böhme venait de vivre ne contredisait pas ses croyances luthériennes basées sur la Bible mais au contraire, cela les clarifiait, les illuminait et lui ouvrait de nouvelles perspectives…
Illustration de Jakob Böhme
Il écrivit sa première œuvre, L’Aurore naissante, comme un aide-mémoire d’une de ses expériences mystiques mais malheureusement une copie tomba entre les mains du pasteur de Görlitz.
Comme Böhme en savait de toute évidence bien plus que lui sur le monde des esprits, il commença à persécuter le cordonnier, l’accusa d’hérésie, menaça de l’emprisonner et finit par lui faire quitter la ville en lui promettant le bûcher !
Peu après son expulsion, Böhme appela son fils Tobias à son chevet et lui demanda de lui permettre d’entendre la belle musique qui se jouait réclamant qu’il ouvre la fenêtre.
Au bout d’un moment il lui dit : « Maintenant, je m’en vais au Paradis ! »
Il poussa un profond soupir et mourut le 17 novembre 1624…
À la question « Où va l’esprit après la mort ? », Böhme avait répondu un jour d’une manière qui rappelait le zen germanique d’Eckhart :
« Il n’a besoin d’aller nulle part. L’esprit a les Cieux et l’enfer en lui. Le Ciel et l’enfer sont l’un dans l’autre et ne sont rien, l’un pour l’autre. »
La théosophie de Jakob Böhme manifestait des connaissances astrologiques profondes et l’influence certaine de l’alchimie.
Ses descriptions minutieuses de la physiologie occulte sont les preuves évidentes qu’il existait une tradition occidentale des chakras, indépendante de l’influence des enseignements orientaux qui se propageaient en Occident au XVe siècle…
On y trouve également un compte rendu presque complet des correspondances qui existent entre les corps célestes, les minéraux et les plantes, qui avaient déjà été abordées dans le passé, mais de manière bien plus vague, par Cornélius Agrippa et Paracelse.
Sa théosophie chrétienne exposait le mythe fondamental de la gnose chrétienne moderne qui deviendra la base de tous les grands traités rosicruciens et de l’école martiniste.
La théosophie de Böhme est une métaphysique dans le sens où elle tente de penser le passage du non-être à l’être.
Selon lui, l’Ungrund (le sans-fond) est un néant inconscient et ténébreux.
La racine du désir germe et s’allume comme une étincelle au fond du néant, faisant jaillir l’être du non-être, et la lumière des ténèbres…
D’après lui, la Réalité avait une structure ternaire déterminée par l’action de trois principes : la source des ténèbres, la puissance de la lumière et l’extra-génération hors des ténèbres par la puissance de la lumière.
Pour lui, le processus de la Réalité était régi par sept qualités, sept sources-esprits : l’âcreté, la douceur, l’amertume, la chaleur, l’amour, le ton (ou le son) et le corps.
Böhme affirmait que la Sophia était incréée et représentait la sagesse divine en l’homme. La Sophia céleste renvoyait donc à la préexistence céleste de l’homme terrestre et à sa chute.
La Vierge Marie représentait cette Sophia céleste et renvoyait à l’androgynie du Christ, alors que la perte de la Sophia céleste correspondait à la naissance de l’Ève terrestre, la féminité.
À ses yeux, il y avait donc une double polarité (Vierge/Ève) et (Christ/Adam), mais sans la notion de dualisme car le christ vivait en Adam et Adam dans le Christ.
La Vierge n’était pas vierge par Ève mais par la descente de la Sophia qui s’incarna en Marie…
Il y avait donc une correspondance profonde entre la descente du Saint-Esprit et l’Incarnation du Christ, et la descente de la Sophia en la Vierge Marie.
En fait, la descente de la Vierge divine en Marie était l’action du Saint-Esprit. Il était donc primordial que Jésus naisse d’elle et de nulle autre !
Ainsi, la naissance de Jésus d’une Vierge, transfigurait la nature féminine en la libérant de la féminité négative.
Pour Böhme, l’affranchissement de la sexualité terrestre impliquait le rétablissement de l’androgynie primitive qui permettait d’éviter les tentations ascétiques qui, dans le Christianisme, marquaient fortement les conceptions négatives de la sexualité.
À l’impureté sexuelle, il n’opposait pas l’ascétisme qui tend vers l’asexué, mais l’androgynie intégrale et originelle.
Au XVIIIe siècle, un de ses plus grands disciples fut l’illuministe Louis-Claude de Saint-Martin (1743 – 1803), appelé encore le philosophe inconnu, qui traduisit cinq de ses ouvrages dont « L’Aurore à son lever » et « La Triple Vie et ses Trois Principes ».
En définitif, on peut dire que Böhme et le pasteur de Görlitz ne s’étaient pas compris. Bien qu’ils affichaient tous deux la volonté de revenir au Christianisme originel, ils représentaient deux formes de conscience très différentes qui s’affrontaient.
Malheureusement, il en allait aussi de même au Nouveau Monde car des hommes moins idéalistes avaient succédé à Christophe Colomb…
Au XVIe siècle, le dégoût et l’intolérance, engendrés par la rencontre de deux autres consciences très différentes, allaient se manifester à une échelle encore bien plus tragique !
Les Conquistadors
En 1519, Hernán Cortes avait établi une base à Veracruz après avoir navigué dans le golfe du Yucatan.
Ses compagnons espagnols et lui-même avaient beau avoir entendu parler de l’incroyable richesse des Aztèques, lorsque l’ambassadeur de leur chef, Moctezuma II, leur apporta des cadeaux, ils en restèrent stupéfaits !
Il y avait, entre autres, une représentation du Soleil en or de la taille d’une roue de char ainsi qu’une encore plus grande de la Lune en argent ; il y avait également un casque recouvert de perles d’or et une immense coiffe faite des plumes du grand oiseau quetzal.
L’ambassadeur aztèque expliqua aux Espagnols que c’étaient les cadeaux que leur seigneur Moctezuma offrait au grand dieu Quetzalcóatl, qui avait quitté la Terre longtemps auparavant pour faire de la Lune son foyer.
Hernán Cortes (1485 - 1547)
Quetzalcóatl (littéralement « quetzal-serpent », ou « serpent à plumes de quetzal », en nahuatl) est le nom donné, dans le centre du Mexique, à l’une des incarnations du serpent à plumes qui était une des principales divinités pan-mésoaméricaines.
Selon les Annales de Cuauhtitlan, Quetzalcóatl, souverain de Tula, la capitale des Toltèques, fut séduit par Tezcatlipoca, qui, jaloux de son rival, l’enivra et l’amena à rompre son vœu de chasteté.
Chassé de Tula, Quetzalcóatl parvint au bord de la mer où il s’immola par remords. Son cœur, qui s’était échappé des cendres, devint alors l’étoile du matin sous le nom de Tlahuizcalpantecuhtli.
Plusieurs civilisations pratiquaient son culte dont les Olmèques sous le nom de Teotihuacan, les Mixtèques (qui le connaissent sous le nom de « 9 Vents »), les Aztèques, les Mayas et surtout les Toltèques.
Quetzalcóatl
La vénération de Quetzalcóatl incluait parfois des rites initiatiques assez violents et même des sacrifices humains !
La personne se faisait séquestrer par les prêtres durant plusieurs jours. Elle s’infligeait des mutilations, se perçant le pénis par exemple, ou faisait couler son sang…
Les conquistadors réalisèrent alors que Cortés, qui portait la barbe, un casque et avait la peau claire, ressemblait aux descriptions prophétiques du dieu.
De plus, leur arrivée coïncidait exactement avec le moment où les astrologues aztèques avaient prophétisé le retour de Quetzalcóatl !
Quand ils arrivèrent à Tenochtitlán, la capitale aztèque (aujourd’hui Mexico), ils découvrirent qu’elle se trouvait au milieu d’un grand lac et qu’on pouvait y accéder seulement par des petits ponts artificiels, pouvant facilement être défendus…
Moctezuma II sortit les accueillir, s’inclina devant le divin Cortés et les invita à entrer…
Le plan de Cortés était de kidnapper Moctezuma et de demander une rançon. Mais quand ses hommes virent tout l’or qu’abritait le palais, ils décidèrent de tuer le roi !
À cause de cette manœuvre stupide, ils ne purent s’échapper de la capitale qu’au terme d’une longue bataille. Ce fut le début d’un des épisodes les plus sanglants de l’histoire du Nouveau Monde !
Mais d’autres conquistadors avaient aussi entendu parler d’une source secrète d’or et d’un roi doré, l’Eldorado (El-Dorado ou Homme doré), qui se baignait dans de l’or liquide chaque matin.
Moctezuma II (1466 - 1520)
En 1531, le rival de Cortés, Francisco Pizarro, se rendit au Pérou avec l’intention de piller entièrement le pays.
Il était à la tête d’une armée de cent quatre-vingt hommes, trente-sept chevaux et trois caravelles.
Aussi traître que Cortés, il kidnappa le roi Atahualpa après lui avoir offert de le rencontrer sans armes.
Il exigeait comme rançon une pièce remplie d’or jusqu’au plafond et pendant des semaines, les habitants apportèrent des plats, des gobelets et d’autres objets finement travaillés.
Mais quand la pièce fut presque pleine, les Espagnols déclarèrent qu’ils devaient remplir la pièce de lingots, et non d’objets, ils commencèrent alors à les fondre pour faire de la place !
Au final, le butin amassé représentait six tonnes d’or !
Francisco Pizarro (1478 - 1541)
Puis, comme cela avait été le cas avec Cortés, les hommes de Pizarro s’impatientèrent et tuèrent le roi !
Quand la petite armée de Pizarro arriva à la capitale, ils trouvèrent des palais dont les murs étaient recouverts d’or et dont les meubles, les statues de dieux, d’animaux et les armures étaient en or.
Il y avait même un jardin artificiel où les arbres, les fleurs et les animaux étaient en or et un champ de cent mètres sur deux cents où chaque tige de maïs était en argent et chaque épi en or.
Le nombre d’Aztèques tués à la bataille de Tenochtitlán a été estimé à plus de 100 000 alors que de leur côté, les conquistadors n’avaient perdu que quelques hommes.
Cependant, la suite de la colonisation allait coûter la vie à plus de 2 millions d’indigènes !
Atahualpa (1497 - 1533)
En 1534, Pizarro fonda la première ville espagnole de San Miguel de Piura, puis le 18 janvier 1535, Ciudad de los Reyes, qui deviendra Lima.
Aux environs de Lima, des travaux de construction d’une autoroute ont mis au jour les restes d’environ 70 hommes, femmes et enfants portant des signes d’une mort extrêmement violente…
Plus de 400 ans après leur décès, on peut encore voir de nombreuses blessures au mousquet. Certaines victimes ont été tuées à coups de hache, écartelées et empalées !
Pizarro parviendra finalement à conquérir l’Empire Inca et deviendra le gouverneur de la « Nueva Castilla », l’actuel Pérou, de 1535 à 1541.
Tombe de Francisco Pizarro
Il sera mis à mort le 26 juin 1541 à la suite d’une conspiration de Diego de Almagro, le jeune gouverneur de la Nouvelle Tolède au sud du Pérou.
Les Espagnols ne trouvèrent jamais l’Eldorado, pas plus que les mines ni aucune trace de la source de l’or qui s’étalait dans les capitales mais ce qu’ils avaient volé au Nouveau Monde allait servir à financer la Contre-Réforme catholique !
Basée en Espagne et mise en application en grande partie par l’inquisition du pays, la Contre-Réforme rendit la messe obligatoire !
Une nouvelle confrérie initiatique se mit alors à son service, nous la découvrirons plus loin…
Diego de Almagro (1475 - 1538)
La plus grande bibliothèque de littérature occulte se trouve aujourd’hui au Vatican…
L’Église de Rome n’a jamais pensé que les sciences occultes ne donnaient pas de résultats, bien au contraire, elle désirait seulement les garder sous contrôle !
En Europe du Nord, de nombreuses personnes menaient leur quête spirituelle en dehors du catholicisme, pourtant l’Espagne était aussi animée par le mysticisme, au sein même de l’Église !
Partons maintenant à la rencontre de la plus grande Mystique Espagnole…
Sainte Thérèse d’Avila
Au XIIe siècle, des hommes de l’Ordre du Carmel fondé par Saint Berthold (un croisé mort en 1195) et qui s’inspiraient du prophète Élie, vécurent en ermite dans les grottes du Mont Carmel (Har HaKarmel, le vignoble de Dieu).
Le Mont Carmel est une montagne côtière d’Israël de 38 kms de long, surplombant la mer Méditerranée et sur laquelle se trouve aujourd’hui la ville d’Haïfa.
Comme nous l’avions vu dans Ouroboros 10, Élie se battit au IXe siècle av. J.-C. contre les prophètes de Baal (nom cananéen de Saturne/Satan) et les vainquit en appelant le feu à descendre des cieux.
La Bible relate le sacrifice du Mont Carmel où Élie affronta et massacra 450 prophètes de Baal, proches de la princesse phénicienne Jézabel et envoyés par son époux Achab, le 11ème roi d’Israël.
Saint Berthold
À titre anecdotique, « Mont Carmel » fut également le nom qui avait été donné par les Branch Davidians, une secte chrétienne tristement célèbre à Waco (États-Unis) où s’est déroulé en avril 1993, le siège meurtrier qui a causé la mort de 82 personnes.
Vers 1209, Albert Avogadro, alors patriarche latin de Jérusalem, donna à ces hommes une règle de vie centrée sur la prière et prescrivant la plus grande pauvreté, la solitude et un régime végétarien.
En 1238, de retour en Europe après la défaite des croisés en Terre Sainte, ces derniers commencèrent à constituer de petites communautés urbaines qui furent organisées par le pape Innocent IV dès 1247 sous la forme d’un ordre mendiant.
Des femmes proches de ces communautés de Frères furent alors attirées par cette vie de prière et donnèrent naissance à des monastères de carmélites dans la seconde moitié du XVe siècle.
Pape Innocent IV
Jean Soreth, frère du couvent des Carmes de Caen et supérieur de l’Ordre du Carmel de 1451 à 1471, s’efforça de convaincre ses Frères de mener une vie religieuse plus rigoureuse et travailla à la transformation de quelques béguinages des Pays-Bas en monastères de carmélites.
Le mouvement ainsi lancé se répandit en Italie, en Espagne et en France avec la duchesse de Bretagne Françoise d’Amboise.
Cette dernière épouse le duc de Bretagne à l’âge de 15 ans et, veuve à 30 ans, fonda un couvent de carmélites près de Vannes avec l’aide de Jean Soreth et y prit l’habit !
En France, les carmes se scindèrent alors en deux branches distinctes : Grands-Carmes et carmes déchaussés lors de la Réforme de Touraine (fin du XVIe – début du XVIIe siècle).
Françoise d'Amboise (1427 - 1485)
Historiquement, le concile de Trente fut le dix-neuvième concile œcuménique reconnu par l’Église catholique romaine.
Convoqué par le pape Paul III en 1542 en réponse aux demandes formulées par Martin Luther dans le cadre de la Réforme protestante, il débuta le 13 décembre 1545 et se déroula sur dix-huit ans, en 25 sessions, cinq pontificats (Paul III, Jules III, Marcel II, Paul IV et Pie IV) et dans trois villes.
En réaction aux progrès de la Réforme protestante, il définit le péché originel, la justification, une autorité de la Bible spécifique au catholicisme romain et confirma les sept sacrements, le culte des saints et des reliques ainsi que le dogme de la transsubstantiation.
Enfin, il créa sur le plan disciplinaire des séminaires diocésains destinés à former les prêtres.
Concile de Trente
C’est donc dans le contexte de la tourmente protestante et du Concile de Trente, qu’apparue en Espagne une femme extraordinaire qui allait marquer profondément la vie du Carme.
Elle allait entièrement y renouveler le sens de la prière et de la pauvreté à travers l’humilité et une vie cachée !
Thérèse d’Ávila, de son vrai nom Teresa Sánchez de Cepeda Dávila y Ahumada, naquit dans la vieille Castille à Gotarrendura le 28 mars 1515.
Comme Jakob Böhme, elle avait rendez-vous avec l’histoire et deviendra une des plus grandes saintes catholiques, une des figures majeures de la spiritualité chrétienne et la toute première femme reconnue comme « Docteur » de l’Église catholique !
Thérèse d’Avila (1515 - 1582)
Sa famille paternelle était issue de Juifs convertis séfarades de Tolède. Sa branche maternelle était de la petite noblesse castillane et Thérèse fut la troisième enfant d’une famille qui en comptera douze.
L’idéal pieux et l’exemple édifiant de la vie des saints et martyrs lui furent instillés dès son enfance par ses parents, le chevalier Alonso Sánchez de Cepeda et Beatriz d’Ávila y Ahumada.
Elle montra dès sa tendre enfance une nature passionnée et une imagination fertile mais plus tard, elle souhaita vivre le martyre en allant avec son frère Rodrigue dans les « terres des infidèles ».
Convaincus que leur projet était irréalisable, le frère et la sœur décidèrent de se faire ermites !
Thérèse écrira : « Je faisais l’aumône comme je pouvais et je pouvais peu. J’essayais la solitude pour prier mes dévotions qui étaient nombreuses et particulièrement le rosaire… J’aimais beaucoup faire comme si nous étions des nonnes dans des monastères quand je jouais avec d’autres petites filles et je pense que je souhaitais l’être. »
En 1527, à l’âge de douze ans, elle perdit sa mère et en 1531 son père l’envoya au couvent de Santa Maria de Gracia à Ávila. Elle y resta jusqu’à l’automne 1532 sans se décider à embrasser la vie religieuse…
Cependant, après être tombée gravement malade et renvoyée en convalescence chez son père, elle prendra finalement la décision d’entrer dans les Ordres et fugua le 2 novembre 1533 pour rejoindre le couvent de l’incarnation d’Ávila !
Elle y fit ses vœux le 3 novembre 1534 et passa vingt-sept ans dans cette communauté…
Au cours de sa première année au couvent, sa santé se détériora. Elle souffrit très probablement de crises d’épilepsie, d’évanouissements et d’une cardiomyopathie.
Pour la guérir, son père l’emmena en 1535 à Castellanos de la Cañada avec sa sœur mais après une rechute durant quatre jours le Dimanche des Rameaux de l’année 1537, elle resta paralysée pendant plus de deux ans et ses souffrances physiques furent à la hauteur de son destin !
Cependant, vers le milieu de l’année 1539, Thérèse recouvra la santé et disait que c’était grâce à saint Joseph !
Avec la santé revinrent les goûts mondains faciles à satisfaire… La vie cloîtrée ne fut imposée à toutes les religieuses qu’en 1563.
Ses premières années au Carmel se passèrent ensuite sans événements notables mais très critique vis-à-vis des pratiques religieuses de l’ordre, elle souhaitait ardemment le réformer !
Thérèse recevait de fréquentes visites et en 1542, elle affirma que Jésus-Christ lui apparut dans le parloir, le visage courroucé, et lui reprocha ses relations familières, ceux qui venaient la visiter !
En 1555, les Jésuites Juan de Padranos et Baltasar Alvarez fondèrent un collège à Avila et Juan devint le confesseur de Thérèse.
En 1556, elle commença à ressentir des faveurs spirituelles intenses et en 1558, elle eut sa première apparition ainsi que la vision de l’enfer !
En 1560, elle fit le vœu de toujours aspirer à la plus grande perfection ; saint Pierre d’Alcántara approuva cet état d’esprit et San Luis Beltrán l’encouragea même à mettre en œuvre son projet de réforme…
Elle voulait fonder à Ávila un monastère observant strictement la règle de l’Ordre qui incluait l’obligation de la pauvreté, de la solitude et du silence !
Fin 1561, Thérèse reçut une somme d’argent envoyée par l’un de ses frères, conquistador au Pérou. Elle avait désormais les moyens de financer son projet…
Après deux années de négociations, la bulle de Pie IV pour la construction du couvent Saint-Joseph lui fut remise par ordre de frère Garcia de Toledo à Ávila.
Pape Pie IV (1499 - 1565)
Le couvent fut inauguré le 24 août 1562, créant ainsi un type nouveau de communauté, mieux adapté à l’époque et plus fidèle à la tradition du Carme.
En mars 1563, elle reçut la sanction papale pour ses principes de pauvreté absolue et de renoncement à la propriété formulés dans une « Constitution ».
Son but était le retour aux règles monastiques strictes telles que la discipline cérémonielle de la flagellation lors des messes hebdomadaires, la substitution des chaussures par des sandales ou encore le déchaussement des carmes.
Les religieux de ce nouvel ordre devaient vivre dans la pauvreté.
Ils abandonnèrent leurs chaussures et furent ainsi rebaptisés les « Carmes déchaussés » ou « Carmes déchaux ».
Thérèse vécut quatre ans au couvent de Saint-Joseph dans une grande austérité…
Les religieuses fidèles à sa réforme dormaient sur une paillasse, portaient des sandales de cuir ou de bois ; elles consacraient huit mois par an aux rigueurs du jeûne et s’abstenaient totalement de manger de la viande.
Thérèse ne désira aucune distinction pour elle-même et vécut de la même manière que les autres religieuses.
Entre 1567 et 1571, Thérèse fondera dix-sept couvents réformés à Medina del Campo, Malagón, Valladolid, Tolède, Pastrana, Salamanque et Alba de Tormes.
En 1561, le Dominicain Pedro Ibáñez lui ordonna d’écrire sa vie, un travail qui allait durer de 1561 à juin 1562 puis qu’elle reprit entièrement en 1566.
Dans toutes les pages du livre de sa vie, on voit les marques d’une passion vive, d’une franchise absolue et d’un illuminisme de la foi des fidèles !
Toutes ses révélations témoignent de sa croyance profonde en une union spirituelle entre elle et le Christ. Elle voyait Dieu, la Vierge, les saints et les anges dans toute leur splendeur et elle recevait d’en-haut des inspirations mises à profit pour discipliner sa vie intérieure.
Elle avait plus de 43 ans quand elle vécut sa première extase et ses visions se succédèrent sans interruption pendant deux ans et demi (de 1559 à 1561).
Soit par méfiance, soit pour la mettre à l’épreuve, ses supérieurs lui interdirent de s’abandonner à cet ardent penchant pour les dévotions mystiques qui étaient pour elle comme une seconde vie.
Ils lui ordonnèrent de résister à ces extases qui consumaient sa santé !
Elle obéit mais en dépit de ses efforts, sa prière était si continue que même le sommeil ne parvenait à en arrêter le cours. Simultanément embrasée d’un violent désir de voir Dieu, elle se sentait mourir !
Dans sa biographie en français en 1559, elle écrivit :
« Je vis un ange proche de moi du côté gauche… Il n’était pas grand mais plutôt petit, très beau, avec un visage si empourpré qu’il ressemblait à ces anges aux couleurs si vives qu’ils semblent s’enflammer…
Je voyais dans ses mains une lame d’or et au bout, il semblait y avoir une flamme. Il me semblait l’enfoncer plusieurs fois dans mon cœur et atteindre mes entrailles : lorsqu’il le retirait, il me semblait les emporter avec lui et me laissait toute embrasée d’un grand amour de Dieu.
L'extase de Sainte Thérèse
La douleur était si grande qu’elle m’arrachait des soupirs et la suavité que me donnait cette très grande douleur, était si excessive qu’on ne pouvait que désirer qu’elle se poursuive et que l’âme ne se contente de moins que Dieu.
Ce n’est pas une douleur corporelle mais spirituelle, même si le corps y participe un peu, et même très fort. C’est un échange d’amour si suave qui se passe entre l’âme et Dieu, que moi je supplie sa bonté de le révéler à ceux qui penseraient que je mens…
Les jours où je vivais cela, j’allais comme abasourdie, je souhaitais ni voir ni parler avec personne, mais m’embraser dans ma peine, qui pour moi était une des plus grandes gloires, de celles qu’ont connues ses serviteurs ».
(Vie de Sainte Thérèse, chapitre XXIX).
Pour perpétuer la mémoire de cette mystérieuse blessure, le pape Benoît XIII, à la demande des Carmélites d’Espagne et d’Italie, établit en 1726 la fête de la Transverbération du cœur de Sainte Thérèse.
Francisco de Rivera, le confesseur de la sainte, la décrivait ainsi :
« Elle était de bonne stature et au temps de sa jeunesse, belle et encore au temps de sa vieillesse, elle supportait bien sa fatigue, le corps épais et très blanc, le visage rond et plein, de bonne taille et proportion ; le teint de couleur blanche et incarné et lorsqu’elle était en prière, il s’enflammait et elle devenait très belle, tout ce teint clair et paisible ; la chevelure noire et crépue, le front large, égal et beau ; les sourcils de couleur claire et tirant un peu sur le noir, grands et un peu épais, non en arc mais un peu plats. »
Pape Benoît XIII (1649 - 1730)
En 1575, l’autobiographie de Thérèse fut soumise pour la première fois à l’Inquisition…
En 1576, une série de persécutions fut lancée par l’ordre carmélite de l’ancienne observance contre les réformateurs, Thérèse et ses disciples !
En suivant des décrets adoptés lors de la réunion générale du chapitre à Plaisance, les « définisseurs » de l’ordre gelèrent toute nouvelle ouverture de couvents.
Thérèse fut assignée à rester dans l’un de ses couvents, elle obéit et choisit Saint-Joseph à Tolède.
Jusqu’à son dernier soupir, Thérèse eut le privilège de converser avec les entités célestes qui la consolaient ou lui révélaient certains secrets du ciel, celui d’être transportée en enfer ou au purgatoire ou encore celui de prévoir l’avenir !
Elle mourut le 4 octobre 1582 à Alba de Tormes lorsque l’Espagne et le monde catholique basculèrent du calendrier julien au calendrier grégorien.
Sa dépouille fut enterrée dans le couvent de l’Annonciation de la ville. Après une exhumation le 25 novembre 1585, on découvrit que son corps était resté intact alors que ses vêtements avaient pourris !
On y laissa un seul bras qui fut conservé comme relique et le reste du corps fut envoyé à Avila dans la salle du chapitre du couvent de Saint-Joseph.
Une de ses mains fut aussi sectionnée et conservée dans un reliquaire d’Avila !
En 1586, par ordre papal et à la suite d’une plainte du duc d’Alba pour récupérer les restes de la sainte, le corps de Thérèse retourna de nouveau à Alba de Tormes…
En 1598, un sépulcre lui fut édifié et en 1616, son corps fut transféré dans une nouvelle chapelle, puis en 1670 dans une chasse en argent.
Après ces événements, on ne fit plus d’autres atteintes aux restes de sainte Thérèse car les charognards avaient déjà eu le temps de se rassasier !
Ses restes sont aujourd’hui dispersés dans plusieurs endroits : son pied droit et une partie de la mandibule supérieure sont à Rome, sa main gauche à Lisbonne, son œil gauche et sa main droite à Ronda (en Espagne), son bras gauche et son cœur dans des reliquaires du musée de l’église de l’Annonciation d’Alba de Tormes et enfin ses doigts sont conservés dans divers endroits d’Espagne !
Thérèse fut béatifiée en 1614 par Paul V, canonisée le 12 mars 1622 par Grégoire XV, puis fut désignée comme patronne d’Espagne en 1627 par Urbain VIII.
Thérèse est aussi aujourd’hui la sainte patronne des écrivains espagnols et des joueurs d’échecs !
Lors de sa béatification en 1614, trente courses de taureaux furent organisées au cours desquelles cent taureaux combattirent avant d’être mis à mort !
Elle fut également nommée docteur de l’université de Salamanque et porte le titre honorifique de mairesse d’Alba de Tormes depuis 1963.
Enfin, en 1970 le pape Paul VI la proclama, avec Catherine de Sienne, docteur de l’Église.
Le mysticisme de son œuvre influença durablement les théologiens des siècles suivants, notamment saint François de Sales, Fénelon et les jansénistes de Port-Royal.
Pape Paul VI (1897 - 1978)
Sainte Thérèse a aussi profondément inspiré Paul Verlaine dans son travail de conversion et notamment pour son recueil intitulé « Sagesse » :
« Ô mon Dieu vous m’avez blessé d’amour. »
Dans « Voyage en France par un Français », elle était pour Verlaine l’exemple même de « la femme de génie » !
Le passage de la biographie de Thérèse où elle décrit sa blessure fait indéniablement allusion à l’extase sexuelle et les journaux spirituels de Thérèse décrivent également une ascension de l’âme qui concorde avec les récits kabbalistiques de l’arbre des sephirot…
Elle y décrit ses expériences de décorporation et les organes de la vision spirituelle de l’âme, les chakras qu’elle appelle les « yeux de l’âme ».
Les états d’extrême spiritualité de Thérèse induisirent souvent des phénomènes surnaturels comme la lévitation dont bien des gens en furent témoins…
Les sœurs devaient se démener pour la maintenir au sol !
Mais ce serait une erreur de croire que l’expérience de la lévitation est obligatoirement une expérience divine !
Thérèse disait se sentir « suspendue entre le ciel et la terre et ne savait que devenir ».
Elle parlait ici de la solitude, de l’aridité spirituelle qui avait été prédite par Maître Eckhart ou encore, à un certain niveau, du détachement intérieur qui, dans l’œuvre de Shakespeare, fit qu’Hamlet se sentit étranger au monde et isolé au point de se demander s’il fallait mieux « être ou ne pas être ».
Aujourd’hui, nous vivons à une époque où l’expérience du monde des esprits est extrêmement rare, où tout est soigneusement organisé pour la rendre inaccessible…
Nous avons tendance à lire les récits de Thérèse comme des allégories, des comptes rendus idéalisés de sensations subtiles, ou même comme une description triviale de changements d’humeur mis en forme de manière prétentieuse ou mélancolique !
Mais en réalité, ses changements d’humeur étaient de véritables états de conscience alternatifs, des extases mystiques qui permettaient d’accéder à une autre compréhension de la façon dont fonctionne le monde des esprits, rarement accessible à son époque en dehors de l’Inde !
Plus que tout autre peuple, les mystiques, les écrivains et les artistes espagnols ont gardé à l’esprit l’immanence de la mort, non pas de manière théorique mais de manière existentielle et pressante…
Ils voient la mort les traverser et les entourer mais ils sont toujours prêts à se mesurer à elle et à prendre le risque d’être vaincus par elle afin de lui arracher ce que la vie a de plus précieux !
En Espagne, en dehors des polémiques d’ordre éthique qu’elle déclenche aujourd’hui, la Corrida en a toujours été le plus grand symbole !
C’est la raison pour laquelle, lors de la béatification de Sainte Thérèse en 1614, cent taureaux combattirent contre l’homme avant d’être mis à mort !
Mais cet état d’esprit trouva aussi son expression la plus vibrante chez le plus célèbre disciple de Sainte-Thérèse d’Avila.
Partons maintenant à sa rencontre…
Jean de la Croix
Jean de la Croix, de son vrai nom Juan de Yepes Álvarez, naquit dans une famille aristocratique espagnole en 1542.
À l’âge de 21 ans, alors que sa mère avait décidé d’en faire le prochain chapelain de l’hôpital de Medina, Jean demanda d’être accepté au sein de l’Ordre des Carmes de Medina del Campo.
Il prendra alors le nom de « Jean de Saint-Matthias » en référence à l’apôtre et étudiera les deux œuvres qui fondèrent la spiritualité de l’ordre du Carmel :
« La règle de l’Ordre des frères et sœurs de Notre Dame du Mont Carmel » et « L’institution des premiers moines ».
Il découvrit aussi l’importance du renoncement dans la vie contemplative et mena une vie ascétique faite de pénitence.
Un an plus tard, il prononça ses vœux perpétuels de pauvreté, d’obéissance et de chasteté !
Le supérieur décida alors de l’envoyer poursuivre ses études au couvent Saint-André annexé à l’université de Salamanque, qui est toujours aujourd’hui l’un des principaux foyers de réflexion et l’une des quatre plus grandes universités d’Europe avec Paris, Oxford et Bologne.
De 1564 à 1567, Jean étudia trois années durant la philosophie et la théologie morale de Thomas d’Aquin, qui devint l’un de ses grands maîtres spirituels. Mais il étudia aussi Aristote, Platon et les écrits d’Augustin d’Hippone…
Curieusement, à la fin de son cursus à Salamanque, il rédigea un mémoire dans lequel il prétendait que la pratique du mysticisme, recherche du sensationnel, conduisait l’homme à l’illuminisme et était un obstacle à la claire vision de la beauté de la contemplation !
Cependant, Jean avait aussi la certitude d’être investi par la présence divine et décida de consacrer sa vie à Dieu dans la voie contemplative !
Il fut d’abord persuadé que seul l’ordre religieux de la Chartreuse pouvait lui permettre de réaliser sa vocation. Il entra alors à la Chartreuse de Ségovie où il fut ordonné prêtre en octobre 1567.
Mais au moment où Jean entra dans les ordres, Thérèse d’Avila réformait le Carmel…
Elle souhaitait fonder une branche masculine et après avoir obtenu l’autorisation du supérieur des carmes, Rubeo de Ravenna, de la constituer, elle se mit en quête de volontaires pour entrer dans la nouvelle congrégation…
Lorsqu’elle arriva à Medina del Campo, elle entendit parler de Jean de Saint-Matthias, frère carme chaussé qui menait une vie d’ascèse et de pénitence !
Elle eut alors un long entretien avec Jean et lui demanda son aide pour diriger la réforme de l’ordre masculin des Carmes déchaussés. Il accepta et renonça à devenir chartreux !
Un an après leur première rencontre en septembre 1568, Jean se rendit au monastère de Valladolid pour juger sur place la réforme entreprise par Thérèse d’Avila.
Thérèse décrira alors Jean de manière très élogieuse :
« Le père frère Jean est une des âmes les plus pures, les plus saintes que Dieu ait faites sur cette Terre. Sa majesté lui a communiqué de grandes richesses de sagesse céleste. »
Le 28 novembre 1568, à Duruelo, dans la maison offerte à Thérèse et qu’elle surnommait « Duruelo Bethléem » en référence au lieu de naissance de Jésus-Christ, Jean de Saint-Matthias prendra le célèbre nom de « Jean de la Croix », qu’il gardera jusqu’à sa mort !
Il s’y installa alors avec deux autres compagnons et portera l’habit de carme confectionné par Thérèse d’Avila : une bure retenue par une ceinture, le scapulaire de l’Ordre et un court manteau blanc.
Ses premières années à Duruelo furent marquées par une radicalité importante : Jean partait évangéliser pied nu, prêchait et priait la nuit, dormant très peu et dans des conditions très précaires.
Saint Jean de la Croix (1542 - 1591)
De plus, il pratiquait une vie intense de mortification : il portait le cilice et s’imposait différents types de pénitences physiques comme le jeûne.
Il justifiait cette dureté par la nécessité de rétablir en lui l’ordre détruit par le péché mais aussi afin de faire réparation pour les autres.
Mais ses pratiques extrêmes commencèrent vite à poser problème : les novices tentaient de se démarquer en l’imitant !
Jean fut alors envoyé dans le carmel déchaussé de Pastrana où on lui demanda de se limiter dans les pratiques d’austérité aux seules exigences de la règle du Carmel !
Il y comprit alors le danger des excès de pénitence qu’il dénoncera plus tard dans « La Nuit obscure » (Noche oscura) :
« Ce sont des pénitences de bêtes vers lesquelles, comme des bêtes, on se laisse attirer, trompé par le désir et la satisfaction qui en résultent. »
La fondation de Pastrana attira de nombreuses recrues et Jean dut fonder un autre carmel à Mancera.
Le 1er novembre 1570, alors âgé de 28 ans, Jean fut nommé recteur du Collège que la réforme avait fondé à Alcala de Henares.
En 1572, Thérèse fit venir Jean à Avila et le nomma directeur spirituel des religieuses.
Son accompagnement était d’une grande aide dans l’instauration de la nouvelle règle du Carmel et il fut très vite apprécié par les carmélites. Anne de Jésus dira :
« Elles reconnaissent son génie dans le gouvernement des âmes, sa patience infinie les conduisant à petite allure, sans violence et par des petits moyens, au point qu’il vient à bout des plus délurées qui laissent leur coquetterie et les choses du monde pour se soumettre à sa parole car elle est à la fois humaine, céleste et pleine d’amour. »
Jean acquit très vite une réputation de sainteté à Avila et commença à développer sa propre doctrine spirituelle. Il poussait les religieuses à se détacher des choses du monde :
« L’âme qui s’attache à ses appétits n’est pas plus libre pour contempler Dieu que la mouche qui se pose sur du miel pour voler. »
Il disait :
« Celui qui ne sait pas éteindre ses appétits chemine vers Dieu tel un homme tirant péniblement un chariot jusqu’au sommet d’une côte. »
Il encourageait ceux qui souffrent :
« Quand tu portes un fardeau, tu es en compagnie de Dieu qui est lui-même ta force car il est proche de ceux qui sont dans la peine. Quand tu n’as pas de fardeau, tu es en société avec toi-même qui n’est qu’infirmité. »
Pour Jean, le silence était un moyen d’accéder à Dieu puisqu’il permettait de limiter l’expérience des sens et réduisait les activités désordonnées de l’intelligence !
Il affirmait :
« Le Père a dit une parole qui est son Fils et il la dit toujours dans un éternel silence et c’est seulement le silence que l’âme entend. »
Jean fuyait toute lecture autre que la Bible et évitait les sentiments pour n’éprouver que la foi pure. C’est à travers cette recherche qu’il découvrit l’expérience de ce qu’il appela la « nuit de la foi ».
Dans cette quête du Divin, il expérimenta une souffrance intérieure qu’il interprétait comme une conséquence du péché ; les facultés humaines n’étaient pas adaptées, selon lui, à la découverte de Dieu !
Il comparait alors cette souffrance à celles décrites dans les Évangiles lors de la Passion du Christ !
En 1574, Thérèse d’Avila fonda un nouveau carmel à Ségovie et elle demande à Jean de l’accompagner dans cette nouvelle institution.
En 1575, Jean eut une vision du Christ en croix dans le couvent de l’Incarnation qu’il représentait « vu d’en haut ».
Ce dessin inspirera plus tard le peintre Salvador Dali qui peignit en 1951 « Le Christ de Saint Jean de la Croix ».
Cette vision conduit Jean à approfondir ses méditations sur la souffrance du Christ et il écrira dans « La Montée du Carmel » (Subida del Monte Carmelo) :
« Durant sa vie, il n’eut pas où reposer sa tête et à l’heure où il expira moins encore. Son Père le délaissait pour qu’il payât purement la dette de l’humanité et qu’il unît l’homme à Dieu, lui-même demeurant anéanti comme réduit à rien. »
Salvador Dali - Le Christ de Saint Jean de la Croix
Les années 1576 et 1577 marquèrent des changements importants pour la réforme du Carmel déchaussé.
Jean bénéficiait de la faveur du roi, de la protection du nonce et de celle des visiteurs apostoliques mais le père Rubeo, membre des carmes chaussés qui mettaient en application la réforme du Carmel, revendiquait une plus grande indépendance !
Il provoqua de profondes divisions au sein de l’ordre. Un chapitre des Carmes « chaussés » décida alors de l’arrestation temporaire de Jean en 1576, à Medina del Campo.
Les carmes « chaussés » cherchaient alors à anéantir la réforme des « déchaussés » !
Jean de la Croix fut alors accusé d’être le meneur de la rébellion et ils organisèrent l’élection d’une nouvelle supérieure pour évincer Thérèse d’Avila.
Dans la nuit du 2 décembre 1577, Jean de la Croix sera fait prisonnier par une troupe armée dirigée par le Père Moldonado et enfermé dans le cachot des carmes chaussés de Tolède.
Il y passera neuf mois dans des conditions très éprouvantes pour qu’il abjure et renonce à la réforme du Carmel. Toutefois, il parviendra à s’échapper mystérieusement le 17 août 1578.
Après s’être caché pendant deux mois chez les sœurs déchaussées de Tolède, il participera à un chapitre des carmes qui demandait la séparation officielle de cette nouvelle branche de l’ordre.
Cette démarche entraina directement son excommunication !
Il écrira aussi à Tolède ses célèbres poèmes « La montée du Carmel » et « La Nuit obscure » dans lesquels il décrira les étapes de l’ascension de l’âme vers Dieu.
Ces deux traités tentaient de décrire les actions de Dieu et traçaient les contours de la théologie de Jean :
« En toute âme, même en celle du plus grand pécheur du monde, Dieu réside et demeure substantiellement ! »
Dans son ouvrage « La Montée du Carmel », il montrait que les différents chemins qui mènent à Dieu sont : l’intelligence, l’imagination ou encore la volonté…
« Dieu meut tous les êtres selon le mode de leur nature. Dieu élève l’âme en l’instruisant des formes, des images et des moyens sensibles et selon son mode de comprendre, par des voies naturelles et surnaturelles puis par des méditations discursives, jusqu’à la souveraine grandeur de son esprit. »
Cependant, l’âme doit aussi se détacher de tout pour parvenir à la véritable union à Dieu :
« En cette nudité l’esprit trouve son repos car ne désirant rien, rien ne le fatigue vers le haut, rien ne l’opprime vers le bas puisqu’il est dans le centre de lui-même, qui est Dieu. »
Étrangement, le 22 juin 1580 marqua une date importante dans le nouvel ordre du carmel. Le pape Grégoire XIII signa le décret de séparation dénommé « Pia Consideratione » qui conduisit à la distinction entre carmes « chaussés » et « déchaussés » !
Pour tenter d’apaiser la situation, les frères de la Réforme envoyèrent Jean à Jaén dans le sud de l’Espagne. Il accompagna ensuite Thérèse dans ses dernières fondations.
Il fonda alors, près de l’université de Baeza, un collège carmélitain pour les jeunes étudiants de la Réforme.
Pape Grégoire XIII (1502 - 1585)
En 1582, Jean rencontra Thérèse d’Avila pour la dernière fois. Elle lui demanda alors de fonder, avec Anne de Jésus, un nouveau monastère à Grenade dont il deviendra le supérieur.
Quelque temps plus tard, à la demande d’une de ses filles spirituelles, il écrira en quinze jours, La vive flamme d’amour (Llama de amor viva), un traité précisant sa doctrine spirituelle et dans lequel il affirmera que Dieu est au centre de l’âme, en son lieu le plus profond.
Il y parlera de la présence et de l’union de l’âme à Dieu en la comparant à un feu intérieur, puis en prenant appui sur l’expérience de la transverbération de Thérèse d’Avila, il affirmera que l’union à Dieu doit passer par une purification douloureuse !
En 1585, devant l’importance du nouvel ordre religieux des carmes déchaussés (plus de 500 nouveaux novices), il fondera deux autres couvents réformés à Malaga et Pastrana.
Puis il deviendra le vicaire provincial d’Andalousie (le responsable des carmes dans toute la province).
Alors qu’il exerça différentes responsabilités et qu’il était présent au départ de la réforme, Jean de la Croix finira cependant en 1591 par être à nouveau marginalisé…
Le chapitre général des Carmes déchaussés comptait alors l’envoyer fonder des communautés au Mexique, avant de réduire son statut à celui de simple religieux !
Jean se réjouira cependant de cette exclusion dans laquelle il voyait une similitude avec Jésus-Christ !
Il écrira alors, dans une lettre adressée à Anne de Jésus :
« Désirez vous rendre semblable à notre grand Dieu humilié et crucifié, car si cette vie ne sert à l’imiter, à quoi est-elle bonne ? »
Jean de la Croix tombera malade le 10 août 1591, victime d’un érysipèle. Il quittera alors, le 28 septembre, le petit couvent de La Peñuela pour aller se faire soigner au couvent d’Ubeda.
Sa maladie empirait et les soins extrêmement douloureux dont il bénéficiait (coups de bistouri, incisions du talon, le long du tibia, cautérisation au fer rouge, etc…), ne permirent pas de limiter les abcès…
Cependant, plus la maladie se développait, plus Jean confiait être paisible !
Sa mort approchant inexorablement, Jean se confessa et demanda pardon à sa communauté !
Le 13 décembre 1591, il demande à ce qu’on lui lise le Cantique des Cantiques et il s’éteignit dans la nuit…
Après sa mort, il sera très vite considéré comme un saint et comme l’un des plus grands mystiques espagnols, au même titre que Thérèse d’Ávila !
L’Église catholique le béatifia en 1675 puis le canonisa en 1726.
Les querelles sur l’illuminisme conduisirent cependant à remettre ses écrits en cause mais la célèbre carmélite française, Thérèse de Lisieux (1873 – 1897), contribua fortement à promouvoir l’importance de sa doctrine.
Thérèse de Lisieux
Il fut alors proclamé « docteur de l’Église » entre les deux guerres mondiales, le 24 août 1926.
Il est depuis 1952 le saint patron des poètes espagnols et certains philosophes s’appuyèrent sur ses écrits pour conceptualiser le détachement.
Il est aussi reconnu aujourd’hui comme l’un des plus grands poètes du Siècle d’or espagnol. Son principal livre d’inspiration fut la Bible et principalement le Cantique des Cantiques…
Son énorme influence continua de s’exercer jusqu’à notre époque :
Le poète Paul Valéry (1871 – 1945) vit dans les poèmes de saint Jean des chefs-d’œuvre de la littérature, les peintres Alfred Manessier (1911 – 1993) et Salvador Dali (1904 – 1989) s’inspirèrent de ses dessins dans leur art et Maurice Béjart (1927 – 2007) créa son opéra intitulé « Noche Oscur » à partir de ses écrits…
La tradition dit que « La nuit obscure » de Jean de la Croix décrivit admirablement bien l’état de conscience alternative lors de l’extase mystique…
L’expérience de la mort mystique est donc une étape très importante dans le processus d’initiation des sociétés secrètes.
Après les premières manifestations réconfortantes et éclairantes de l’esprit, le candidat est jeté dans un état de profond désespoir.
Non seulement il n’a aucun doute sur sa mort prochaine mais il est également persuadé que Dieu l’a abandonné et que le cosmos tout entier le méprise !
Il ne désire alors plus rien d’autre que la demi-vie d’ombre qu’on lui montre…
Si Jean a décrit son expérience mystique en des termes qui sont reconnaissables par tous aujourd’hui, c’est en partie parce qu’il a contribué à formuler le langage même que nous utilisons pour décrire le voyage de l’esprit à travers le Purgatoire, la sphère de la Lune !
Le récit de Jean était également traversé par un niveau de signification prophétique car il anticipait une ère de l’histoire où l’humanité, incarnée toute entière, allait devoir traverser sa propre « nuit obscure »…
L’ordre occulte le plus influent de l’Église de Rome et de la Contre-Réforme catholique était celui des Jésuites !
Partons maintenant à leur rencontre…
Ignace de Loyola
Ignace de Loyola naquit le 24 décembre 1491 à Azpeitia dans le pays basque espagnol.
Dernier né d’une famille de 13 enfants, il grandit au sein de la petite noblesse, alliée traditionnelle de la maison de Castille.
Il avait seulement 7 ans lorsque sa mère, Marina Sáenz de Licona y Balda, mourut et se retrouva orphelin à l’âge de 15 ans après la perte de son père.
Ignace quitta alors Loyola et devient page à la cour de Ferdinand d’Aragon en 1506 puis, adulte et devenu gentilhomme, exerça la fonction de secrétaire au service d’un parent de sa mère, Juan Velázquez de Cuéllar, trésorier général (contador mayor) de la Reine de Castille Isabelle 1ère la Catholique.
Isabelle 1ère de Castille dite « la Catholique » (1451 - 1504)
Jusqu’à sa 25ème année, il s’adonna aux vanités du monde, montrait un goût certain pour l’exercice des armes et se lia d’amitié avec la princesse Catalina, la sœur de Charles Quint, séquestrée par sa mère Jeanne la Folle à Tordesillas.
Malheureusement cette amitié fut de courte durée car, lorsque Charles Quint succéda en 1516 au roi Ferdinand II d’Aragon, il demanda le renvoi de Juan Velázquez, ce qui l’éloigna définitivement de la belle Catalina !
En 1517, Ignace entra dans l’armée du duc de Lara, vice-roi de Navarre, récemment rattachée au Royaume de Castille (1512).
Le 20 mai 1521, alors qu’il était âgé de trente ans, il participa au siège de Pampelune (Navarre), une ville qu’il défendit face aux troupes franco-navarraises appuyées par François 1er qui cherchait à récupérer la couronne de Navarre au bénéfice de la famille du vicomte de Béarn, Henri d’Albret.
Ferdinand II d'Aragon dit « le Catholique » (1452 - 1516)
Charles Quint (1500 - 1558)
François 1er (1494 - 1547)
Submergés par le nombre, les Espagnols voulurent se rendre mais Ignace les exhorta à se battre !
Sa carrière au sein de l’armée s’arrêta malheureusement là…
Après avoir eu une jambe blessée et l’autre brisée par un boulet de canon, il fut ramené à son château pour y être opéré.
Sa jambe droite restera plus courte de plusieurs centimètres, l’empêchant définitivement de revenir dans l’armée espagnole !
Durant sa convalescence, il lira de nombreux livres religieux comme « Une Vie de Jésus » de Ludolphe de Saxe en quatre volumes ou « La Légende dorée » de Jacques de Voragine, richement illustrée et qui narrait les faits et gestes des saints.
Ignace de Loyola, soldat
Un jour, dans un mélange de ferveur et d’anxiété, Ignace vit en songe lui apparaître « Notre-Dame avec le Saint Enfant Jésus » et rejeta alors sa vie passée et spécialement les plaisirs de la chair !
Il ne songeait plus qu’à adopter une vie d’ermite et suivre les préceptes de saint François d’Assise…
Mais en signe d’expiation, Ignace voulait aussi partir en pèlerinage et toute sa vie, il rechercha les sites consacrés à la dévotion chrétienne !
Il décida alors de se dévouer entièrement à la conversion des musulmans en Terre Sainte avec la prétention, comme Ramon Llull, de tous les convertir au Christianisme !
Après son rétablissement en février 1522, il entreprit de rejoindre Jérusalem et passa 3 jours à prier au monastère bénédictin de Montserrat, près de Barcelone.
Durant la nuit du 24 mars 1522, dans un geste de rupture avec son ancienne vie militaire, il accrocha ses habits et ses armes devant la statue de la Vierge noire.
Et c’est ainsi que, vêtu d’un simple tissu, une espèce de soutane en toile avec une corde en guise de ceinture, l’home del sac (en catalan), il reprit la route de Barcelone !
Mais, meurtri par son voyage, ses blessures mal cicatrisées et l’ascèse qui commençait à monter en lui, il s’arrêta plusieurs mois dans une grotte près de la ville de Manresa en Catalogne.
Il mena ainsi, jusqu’au début de 1523, une vie d’ermite au cours de laquelle il entreprit la rédaction de ce qui deviendra ses « Exercices spirituels », une sorte de journal intime qui allait être un des livres clés de la spiritualité ignacienne.
Cependant, l’appel de la Terre Sainte était toujours aussi fort et le 20 mars 1523, il embarqua pour l’Italie.
Béni à Rome par le pape Adrien VI, il continua son périple jusqu’à Venise et parvint enfin à Jérusalem où il ne resta en tout et pour tout que trois semaines en septembre 1523, avant d’être prié par des frères franciscains de quitter le pays !
De retour en Italie, il se convainquit de l’absolue nécessité d’étudier pour enseigner. Cette forte conviction allait plus tard jouer un grand rôle dans sa vie !
Pape Adrien VI (1459 - 1523)
De retour à Barcelone en mars 1524, il consacra onze années aux études, plus d’un tiers de ce qu’il lui restait à vivre !
À la fin de l’an 1527, encouragé par Alonso de Fonseca, archevêque de Tolède, il rejoignit la plus prestigieuse de toutes les universités, celle de Salamanque.
Mais les attaques vives qu’il dut subir, en particulier de la part de l’inquisition et des dominicains, le décident à se rendre à Paris en février 1528 où il vivra durant sept ans.
Ses progrès dans la compréhension des mécanismes de l’enseignement et sa capacité à dominer intellectuellement, y compris les plus érudits que lui-même, par l’usage de son discernement, le distinguèrent rapidement des autres étudiants.
Mais sa personnalité rigoureuse, entière et son attitude réformatrice lui créeront aussi de nombreux ennemis !
À Paris, ses épreuves furent variées : pauvreté, maladie, œuvres de charité, discipline du collège, particulièrement sévère dans celui de Montaigu où il résida en premier car trop pauvre et ignorant pour rejoindre celui de Sainte-Barbe.
Il entrera cependant à Sainte-Barbe mais sera accusé publiquement par son recteur, Diego de Gouvea, d’enfreindre les règles !
En France, Ignace se retrouva au cœur de la Renaissance, au centre de la « décennie prodigieuse » qui débuta en 1525 avec la polémique entre Érasme (De libero arbitrio) et Luther (De servo arbitrio) et se poursuivra avec la création du collège de France en 1530, la parution du Pantagruel de Rabelais en 1532 ou encore la publication de l’institution de la religion chrétienne de Calvin en 1536.
Il fut néanmoins reçu maître ès arts le 13 mars 1533 mais ne peut être reçu docteur en raison de ses ennuis de santé qui le conduiront hors de Paris en mars 1535.
Le 15 août 1534, à l’issue de la messe célébrée à Montmartre dans la crypte Notre-Dame, Ignace et six de ses fidèles amis prononcèrent leurs trois vœux : pauvreté, chasteté et celui de se rendre dans les deux ans à Jérusalem pour y convertir les infidèles à la fin de leurs études.
Ils furent ensuite rejoints par trois autres amis : Claude Le Jay, un autre Savoyard de Genève et deux Français, Jean Codure et Paschase Broët.
Unis par le charisme d’Ignace, le petit groupe d’amis décida de ne plus jamais se séparer !
Après avoir quitté Paris pour raison de santé, Ignace se rendit six mois en Espagne puis à Bologne et Venise où il se fera ordonner prêtre le 24 juin 1537, en attendant que ses amis le rejoignent…
En 1534 à Rome, Alexandre Farnèse venait d’être élu pape sous le nom de Paul III et comprit rapidement le profit qu’il pouvait tirer de la nouvelle génération de prêtres savants, rigoureux, intègres et d’un immense volontarisme réformateur !
En novembre 1538, Paul III reçut Ignace et ses 10 compagnons venus faire leur « oblation » et leur demanda de travailler à Rome qui sera désormais leur Jérusalem !
C’est ainsi que s’ébauchèrent les premières lignes de la Compagnie de Jésus ou « Ordre des jésuites ».
De mars à juin 1539, ils débattirent de la forme à donner à leur action et en août 1539, Ignace, Codure et Favre rédigèrent « la prima Societatis Jesu instituti summa », esquisse des constitutions de la Compagnie avec quelques points forts comme l’obéissance à un Préposé général, l’exaltation de la pauvreté, le refus du cérémonial monastique et en particulier de la prière collective et des mortifications.
Pape Paul III (1468 - 1549)
Ignace soumettra alors, par l’intermédiaire du cardinal Contarini, ce texte à Paul III qui en approuvera le contenu le 3 septembre 1539.
Le 22 avril 1541, Ignace sera élu, en dépit de ses réticences, premier supérieur général de la Compagnie de Jésus puis il prendra ses fonctions avec ses compagnons dans la basilique Saint-Paul-hors-les-murs.
L’Ordre des Jésuites était alors officiellement constitué !
En 1541, Ignace fut chargé de mettre au point les règles d’organisation de la nouvelle « Compagnie de Jésus » mais il commença seulement à travailler sur les Constitutions en 1547, y introduisant progressivement des coutumes destinées à être transformées en lois.
Compagnie de Jésus (Ordre des Jésuites)
Basilique Saint-Paul-hors-les-Murs
En 1547, Juan de Polanco devint son secrétaire et pendant 3 ans. Ils se consacrèrent au premier jet des Constitutions tout en sollicitant l’approbation pontificale de réaliser une nouvelle édition de la « Formula Instituti » que le pape Jules III accepta dans la bulle « Exposcit Debitum » du 21 juillet 1550.
Ignace proposera en 1552 une deuxième version des Constitutions qui fera alors définitivement force de loi dans la Compagnie.
Ce texte restera tel quel jusqu’aux modifications introduites par la XXXIVe Congrégation en 1995.
Ignace envoya alors ses compagnons comme missionnaires en Europe pour créer un réseau d’écoles, de collèges et de séminaires.
Un premier collège fut fondé en 1548 à Messine ; il eut rapidement un grand succès et ses règles et méthodes furent ensuite reproduites partout…
Constitutions de la Compagnie de Jésus
Les jésuites allaient ainsi devenir l’élite intellectuelle de l’Église Catholique, son service de renseignements militaires, ses serviteurs jusqu’à la mort pourchassant l’hérésie et les accès illicites au monde des esprits, c’est-à-dire tout ceux que l’Église ne contrôlait pas !
Ils allaient aussi devenir les éducateurs et les missionnaires du pape, instituant un système rigoureux qui orientait les jeunes vers Rome et leur inculquait l’obéissance !
Ils réussirent leur mission avec brio notamment en Amérique centrale, en Amérique du Sud et en Inde…
Parallèlement à la Compagnie de Jésus, Ignace fonda aussi à Rome en 1547, la Compagnie du Saint-Sacrement de l’Église des douze Apôtres autour d’un groupe de laïcs.
À la mort d’Ignace de Loyola le 31 juillet 1556 à Rome, la Compagnie de Jésus comptait déjà plus de 1 000 membres répartis dans douze Provinces, 72 résidences et 79 maisons et collèges.
En 2011, l’ordre des Jésuites comptait près de 18 000 religieux et est toujours aujourd’hui le plus grand ordre de l’Église Catholique.
Le nouveau supérieur général Adolfo Nicolas a été élu le 18 janvier 2008 pour un mandat à vie, conformément aux constitutions de la Compagnie de Jésus. Trentième supérieur général, il démissionne, remplacé par Arturo Sosa le 14 octobre 2016.
Ignace de Loyola fut béatifié le 19 avril 1609, le jour de Pâques et canonisé le 12 mars 1622, en même temps que Saint François Xavier et Sainte Thérèse d’Avila !
Dans l’Église Catholique, « Les Exercices spirituels » reste un ouvrage de méditation et de prière qui est considéré comme le chef-d’œuvre spirituel d’Ignace de Loyola, transcrit à partir de sa propre expérience spirituelle à Manrèse.
Tombeau de Saint Ignace de Loyola
Pape François et Adolfo Nicolás
Tout l’enseignement d’Ignace de Loyola était orienté vers le discernement car pour lui, toute décision humaine était le lieu d’une rencontre avec le Seigneur !
Ce livre fait environ 200 pages et se veut être le « livre du maître » qui guide l’accompagnateur spirituel lors d’une retraite d’environ 30 jours.
Il propose des méditations et contemplations organisées en quatre semaines, permettant un progrès dans la compréhension de soi-même et des mystères de la vie du Christ pour les assimiler.
Pour chaque méditation, seuls quelques points sont donnés mais chaque fois avec beaucoup de sobriété !
Dans l’esprit d’Ignace, les « exercices spirituels » devaient toujours être faits avec un guide dont le rôle était de s’effacer progressivement car il devait laisser le Créateur agir sans intermédiaire avec la créature (le retraitant) et la créature avec son Créateur et Seigneur !
La tradition secrète dit qu’Ignace de Loyola inventa des épreuves et des techniques destinées à atteindre des états de conscience alternatifs comme des exercices de respiration, la privation de sommeil, la méditation sur des crânes, l’entrainement au rêve éveillé et à l’imagination active.
Lors de cette dernière, il préconisait de construire une image mentale élaborée que les sens pouvaient percevoir et que les esprits désincarnés pourraient habiter.
Ce procédé est connu des Rose-Croix sous l’appellation : « construire une cabane près du palais de la sagesse ».
Mais les exercices de Loyola et ceux des Rose-Croix comportaient une différence subtile et non négligeable !
Ignace de Loyola
Alors que les techniques rosicruciennes étaient conçues pour aider à atteindre un échange libre, aussi bien dans la volonté que dans la pensée, avec des êtres des hiérarchies supérieures, les exercices spirituels d’Ignace, eux, étaient destinés à faire taire la volonté et à induire un état d’obéissance soumise, identique à celle d’un soldat !
« Prends, Seigneur, et reçois toute ma liberté, ma mémoire, mon intelligence et toute ma volonté, tout ce que j’ai et possède. »
Les « Exercices spirituels » d’Ignace de Loyola demeurent pourtant aujourd’hui en Occident le recueil de techniques ésotériques le plus publié et le plus facile à se procurer !
En 1985, fut publié un livre anonyme qui s’appelait « Méditations sur les vingt-deux arcanes majeurs du Tarot ».
Il eut un grand retentissement dans les cercles ésotériques car il montrait, de manière très érudite, que le symbolisme des cartes du Tarot se référait à un schéma unifié de croyances regroupant l’hermétisme, la Kabbale, la philosophie orientale et le catholicisme.
Par la suite, il apparut que son véritable auteur était le mystique Valentin Tomberg (1900 – 1973) qui avait été initié par Rudolf Steiner mais qui s’était ensuite détourné de l’anthroposophie de son maître pour se convertir au catholicisme.
Bien que ce livre fût une véritable mine d’or de la Tradition et de la Sagesse ésotériques, son véritable objectif consistait en priorité à inviter ceux qui s’intéressaient aux sciences occultes à rejoindre l’Église Catholique !
Mais il en allait de même avec les « exercices spirituels » d’Ignace de Loyola qui avaient aussi pour objectif de récupérer des ouailles afin que l’initiative de la pratique ésotérique ne soit pas entièrement soustraite à l’Église Catholique !
Cependant, aux XVIe et XVIIe siècles, face à l’ébranlement causé par la Réforme protestante, l’ordre des jésuites allait aussi prendre une importance considérable dans la réaction violente de l’Église Catholique…
Les deux courants initiatiques se préparaient en secret à l’affrontement, la bataille promettait d’être bestiale et allait bientôt transformer l’Europe centrale en un vaste désert !
Comme nous l’avons vu dans nos derniers chapitres, Maître Eckhart, Paracelse, Robert Fludd, John Dee ou encore Böhme œuvraient en Europe du Nord, de manière plus ou moins isolée, mais laissaient aussi sous-entendre qu’il existait un véritable réseau d’initiés qui les reliait entre eux…
Le complot
En 1596, un homme du nom de Beaumont fut condamné pour pratique de la magie noire par le tribunal d’Angoulême.
Avant de mourir, il dit que le monde était rempli de Sages qui faisaient profession d’une Sublime Philosophie, qu’il y en avait en Espagne, à Tolède, à Cordoue, à Grenade et en beaucoup d’autres lieux…
Mais il avoua aussi que cette Sublime Philosophie était autant célèbre en Allemagne, qu’en France et en Angleterre, qu’elle se conservait précieusement dans certaines familles illustres et qu’on n’admettait à la connaissance de ces mystères que des gens choisis de peur qu’ils se perdent en tombant entre des mains de profanes !
Comme nous l’avons vu dans Ouroboros 19, lorsque nous avons abordé la Rose-Croix mystique, 120 ans après la mort de Christian Rosenkreutz, trois manifestes qui prétendaient révéler « l’Histoire Vraie » firent leur apparition :
Le premier, la Fama fraternitatis, ou les Échos de la fraternité, fut publié anonymement à Kessel en Allemagne, entre 1614 et 1616, et appelait à une révolution spirituelle.
Le deuxième, la Confessio fraternitatis, racontait l’histoire de Christian Rosenkreutz, le fondateur de la confrérie et faisait un compte rendu des règles qu’il avait instituées, révélant également la découverte de sa tombe en 1604…
Et effectivement, en 1604, on découvrit une porte dissimulée sous un autel et menant à une crypte, qui portait l’inscription :
« Post 120 annos patebo » ou « Après 120 ans, je m’ouvrirais ».
Fama Fraternitatis
Dans la crypte, on trouva un mausolée heptagonal dont chaque côté mesurait deux mètres et demi de haut et, en son centre, au-dessus d’une table circulaire, était suspendu un soleil.
Sous cette table, on retrouva le corps intact de Rosenkreutz, entouré de livres dont la Bible.
Le corps tenait dans sa main un rouleau de parchemin sur lequel on pouvait lire :
« Nous sommes nés de Dieu, nous mourrons en Jésus et nous renaîtrons par l’Esprit Saint. »
Curieusement, sur la page de titre de la Confessio fraternitatis figurait aussi l’emblème occulte de la conscience évoluée de John Dee, celui qu’il baptisa : La Monade hiéroglyphique.
La Monade Hiéroglyphique
Enfin, le troisième manifeste, Les Noces chymiques de Christian Rosenkreutz, était un récit allégorique de l’initiation, un mariage chimique, magique et sexuel dans la tradition de l’Hypnerotomachia (le Songe de Poliphile), rédigé en 1467 (voir Ouroboros 17).
Ces manifestes firent sensation en Europe mais en disaient très peu sur leurs mystérieux auteurs, mis à part que celui des Noces chymiques était un jeune pasteur luthérien du nom de « Johannes Valentinus Andreae » dont le mentor spirituel avait été le grand mystique Jean Arndt, le disciple de Jean Tauler lui-même disciple de Maître Eckhart !
Dans l’histoire occulte de l’humanité, les actions des sociétés secrètes ont toujours laissé peu de traces visibles car c’est inhérent à leur nature, mais il faut savoir qu’elles en laissaient encore moins lorsqu’elles atteignaient leur but !
Les Noces Chymiques
La raison en est très simple : comme nous l’avons vu dans le cas de la disgrâce de John Dee, l’influence occulte des sociétés secrètes a toujours été mise en grand danger à chaque fois que ces dernières ont tenté d’opérer au grand jour !
Pour certains, les sociétés secrètes sont représentatives d’une ancienne philosophie universelle qui explique l’univers de manière plus adéquate que toute autre et que la majorité des grandes figures de l’Histoire ont été ou sont encore guidées par elle aujourd’hui…
Il est donc naturel de se demander si ces « sociétés » sont vraiment une sorte de coalition secrète des plus grands « génies » ou si ce n’est pas simplement le fantasme de quelques personnes isolées et marginales !
Au cours de nos derniers chapitres, nous avons suivi deux traditions parallèles :
1 – Celle largement exotérique des grands mystiques, d’une génération à l’autre…
2 – Celle très ésotérique qui ressemble à une vague association de magiciens et d’occultistes : forces mystiques à l’origine de la Réforme protestante, chaîne d’initiés qui relie Eckhart, Tauler et Arndt au réseau de mages tels que Christian Rosenkreutz, Paracelse ou encore John Dee…
Il est temps pour nous aujourd’hui, de briser un grand secret et de révéler qu’en 1614, ces deux traditions se croisèrent en une personne : Johann Valentin Andreae !
Johann Valentin Andreae
Dans les années qui suivirent la publication de la Fama fraternitatis, les adeptes de la Rose-Croix sortirent de l’ombre au son du canon et des mousquetons !
Ils s’engagèrent alors dans une guerre sanglante et désespérée contre les jésuites pour contrôler l’esprit de l’Europe !
Dans l’histoire conventionnelle qui ne croit pas aux manifestes rosicruciens, on les suspecte de n’être qu’un tissu de fantasmes marquant le début du phénomène rosicrucien mais dans l’histoire secrète, en revanche, ces manifestes annoncèrent la fin des véritables Rose-Croix, ou du moins, le début de la fin !
La publication de ces manifestes, au début du XVIIe siècle, marqua également la fondation d’une autre société occulte qui allait dominer les affaires du monde et ce, jusqu’à aujourd’hui !
L’institution du Saint Empire romain germanique, fondé en 800 par Charlemagne, était basée sur l’idéal d’un dirigeant mondial qui, avec la bénédiction du pape, allait réunir la chrétienté et défendre la foi.
Mais au début du XVIIe siècle, cet idéal avait malheureusement perdu de sa splendeur !
Aucun empereur du Saint Empire ne fut couronné entre 1530 et 1576, date du couronnement de Rodolphe II de Habsbourg (1552 – 1612) et de nombreux royaumes et principautés allemands étaient devenus protestants…
À la mort de Rodolphe II, l’empereur intellectuellement curieux, tolérant et attiré par l’occultisme, que John Dee n’avait pas réussi à impressionner, les Rose-Croix fomentèrent un complot pour éviter un conflit autour de sa succession !
Empereur Rodolphe II de Habsbourg
L’idée était la suivante :
Si Frédéric V, prince rhénan et frère rose-croix, pouvait s’asseoir sur le trône de Bohême, l’Europe deviendrait entièrement protestante !
Les Rose-Croix allaient à cet effet cultiver une relation toute particulière avec Jacques 1er d’Angleterre…
Michael Maier, dont les gravures alchimiques de l’Atalanta Fugiens sont les plus explicites jamais imprimées, lui envoya une carte de vœux !
En 1617, Robert Fludd lui dédia aussi son travail sur la cosmologie ésotérique, « Utriusque cosmi historia », le saluant par une épithète consacrée à Hermès Trismégiste !
Frédéric V du Palatinat (1596 - 1632)
Jacques Ier d'Angleterre (1566 - 1625)
Enfin, en 1612, la fille de Jacques 1er d’Angleterre, Elizabeth Stuart, épousa Frédéric V !
On célébra le mariage à la cour où fut donnée une représentation de « La Tempête », de William Shakespeare, pièce à laquelle on venait de rajouter la scène du masque… !
On peut donc dire, avec une pointe d’ironie, que lors du mariage, John Dee était aussi présent en esprit car le héros de « La Tempête », Prospero, était l’archétype même du mage inspiré directement à Shakespeare par l’astrologue de la cour d’Elizabeth 1ère d’Angleterre !
(Voir Ouroboros 18)
Elizabeth Stuart (1596 - 1662)
Cependant, le complot des Rose-Croix échoua !
La seconde partie du plan prévoyait que lorsque Frédéric V partirait pour Prague afin d’être couronné empereur, en 1619, Jacques 1er volerait au secours de son beau-fils et de sa fille Elizabeth Stuart pour les défendre des attaques des catholiques…
Mais Jacques 1er d’Angleterre n’en fit rien et les troupes de Frédéric V furent défaites lors de la bataille de la Montagne Blanche, qui eut lieu le 8 novembre 1620 à proximité de Prague.
Bataille de la Montagne Blanche
Si la révolte de 1618 des États protestants en Bohème contre le roi catholique romain Ferdinand II du Saint-Empire avait bien commencé, permettant de briser la politique d’isolement en élisant pour roi, l’électeur Palatin calviniste Frédéric V, les choses allaient rapidement s’inverser lorsque Maximilien 1er, duc de Bavière allait regrouper les forces de la Ligue catholique (dont les guides intellectuels étaient les jésuites) et envoyer le comte Tilly directement à Prague…
Le but des Habsbourg était avant tout de rétablir la suprématie catholique en Europe !
La bataille de la montagne Blanche opposa donc une armée d’environ 21 000 hommes, commandée par Christian 1er d’Anhalt-Bernbourg pour le compte de Frédéric V, aux forces du Saint-Empire placées sous les ordres de Charles-Bonaventure de Longueval, comte de Bucquoy, associées à celles de la Ligue Catholique et du comte Tilly, qui groupait 29 000 hommes…
Cette bataille marqua la fin de la première période Palatine de la guerre de Trente Ans…
Au cours de cette guerre, cinq villes ou villages allemands sur six furent détruits et des neuf millions d’habitants que comptait le pays, cinq millions furent exterminés…
Le grand rêve rosicrucien fut ainsi détruit dans un carnaval de bigoteries, de tortures et de massacres !
L’Europe centrale n’était plus qu’un vaste désert !
Mais l’Église Catholique remporta une victoire éphémère car, si le danger de la Réforme protestante semblait écarté, elle allait bientôt être confrontée à son plus impitoyable ennemi, le plus ancien de tous et qui réapparut sous une autre forme !
Dans le prochain chapitre, nous découvrirons les origines occultes de la science et de la franc-maçonnerie.
Nous ferons aussi la connaissance d’Isaac Newton et d’Elias Ashmole…
Le contenu de cette page provient de la chaîne Youtube https://www.youtube.com/user/PierrePhilo