Ce que vous venez d’entendre est un exemple d’enregistrement d’une station de nombres énonçant des codes de l’alphabet phonétique de l’OTAN.
Une station de nombres est une station radio d’ondes courtes (OC) et d’origine incertaine. Elles peuvent être très puissantes avec des fréquences allant de 3 000 à 30 000 KHz. Une station de ce genre émet généralement des suites de nombres ou de lettres souvent groupés par 5, codés en Morse ou en alphabet radio. Lors des émissions phoniques, ces séquences sont énoncées par des voix artificielles. Il existe des stations de nombres dans de nombreuses langues.
Ces émissions seraient destinées à des activités d’espionnage, mais cet usage n’a jamais été confirmé publiquement par un gouvernement susceptible de faire fonctionner une telle station. En revanche, les États-Unis ont jugé en 2001 les Cuban Five, un groupe d’individus espionnant pour le compte de Cuba et qui recevaient et décodaient des messages diffusés depuis une station de nombres cubaine.
« Camarade, tu m’entends ? »
Radio à ondes courtes reliant la Havane à ses espions (Miami)
Les stations de nombres n’émettent pas en continu. Elles apparaissent et disparaissent au fil du temps sur diverses fréquences (généralement du spectre HF), mais certaines suivent cependant un programme régulier. Leur activité a légèrement augmenté depuis le début des années 1990.
Selon The Conet Project, les stations de nombres existent depuis la Première Guerre Mondiale. Si cette affirmation est exacte, les stations de nombres comptent parmi les premières transmissions radio.
Quoique ces stations interfèrent avec des services de radio essentiels tels que le contrôle du trafic aérien et maritime, elles continuent à émettre et cela sans en rendre compte à personne.
Aucun gouvernement n’a jamais reconnu une station de nombres et n’a jamais posé une réclamation à leurs utilisations. Pourtant, il est évident que les coûts et l’organisation de ces émissions illégales ne peuvent être soutenus et approuvés que par des organismes gouvernementaux.
Aujourd’hui, il y a suffisamment de preuves que ces stations sont utilisées par des agences de renseignement pour envoyer des messages et des instructions opérationnelles à leurs agents à l’étranger.
L’hypothèse que les signaux de ces stations de nombres étaient exploités par des cartels de la drogue n’est plus valide ; cela était reconnu tacitement par le gouvernement britannique, et accidentellement par les Cubains.
Au fil du temps, des documents déclassifiés et des procès judiciaires ont révélé la vérité sur ces stations mystérieuses. Plusieurs espions ont été pris en possession de radios à ondes courtes. Étant donné l’utilisation répandue et fréquente des stations de nombres, les cas publiés ne sont sans aucun doute que la partie émergée de l’iceberg.
« Après l’arrestation du réseau d’espions guêpe « La Red Avispa » en 1998. La station « Atencion » de Cuba est devenue la première au monde à être officiellement et publiquement accusée de transmettre aux espions. »
Les stations de nombres reçoivent parfois des surnoms par les passionnés, souvent sur la base d’un élément distinctif. Par exemple, la station Lincolnshire Poacher joue les deux premières mesures de la chanson « The Lincolnshire Poacher » avant chaque séquence de nombres.
Magnetic Fields fait de même avec la musique du musicien Jean-Michel Jarre. Atencion débute ses transmissions par le mot espagnol « Atencion! ».
Les stations de nombres suivent souvent un format simple. Le prélude ou l’introduction d’une transmission inclut une sorte d’identifiant qui peut prendre une forme numérique ou codée (comme « Charlie India Oscar » ou « 250 250 250 »), des phrases caractéristiques (« Atencion! », « 1234567890 », etc.) ou des sons ou phrases musicales (par exemple The Lincolnshire Poacher ou Magnetic Fields). Le prélude peut être répété pendant un certain temps avant que le message ne débute.
Le corps du message est souvent précédé par l’annonce de la taille. Le message est ensuite transmis, sous la forme de groupes de quatre ou cinq chiffres ou lettres en alphabet radio (voix artificielles) ou en Morse.
Les groupes sont typiquement répétés. Certaines stations envoient plus d’un message par transmission.
Après les messages, les stations annoncent la fin des transmissions de diverses façons, comme l’émission du mot « fin » (ou n’importe quelle variation dans la langue utilisée), ou du groupe « AR » en télégraphie.
Certaines stations, tout particulièrement celles qu’on pense provenir de l’ancienne Union Soviétique, concluent par une série de zéros par exemple « 00000 » « 000 000 », d’autres se terminent par de la musique ou d’autres sons.
Aussi, personne (au moins aucun civil) n’a jamais réussi à déchiffrer un message d’une station de nombres. Il est clair toutefois que la NSA a décrypté ces transmissions dans le passé (le Projet Venona).
Auparavant, seuls les gouvernements pouvaient se le permettre avec l’aide de superordinateurs aux puissances de calcul surprenants comme par exemple le Cray ; celui-ci avait en effet accès à ce type de puissance.
« Mais dans le cas du Cray, le gouvernement américain interdisait l’exportation de ces machines, l’indisponibilité de cette technologie au reste des nations leur permettait d’avoir un niveau sans précédent sur l’espionnage. »
Aujourd’hui, avec les progrès de la technologie qui sont désormais accessibles à tous, ainsi que la puissance des processeurs actuels, il nous est possible de les cracker. Le problème est de savoir comment faire ?
Le système de cryptage utilisé par ces stations est de type : (One-Time Pad ou OTP), il est connu pour être incassable. L’OTP est un algorithme qui n’utilise aucune clé. Aussi appelé masque jetable, c’est une technique simplissime mais très délicate à utiliser. Imaginons que nous ayons un message de n octets. Pour l’encrypter :
- Créer une suite S (même taille que n) d’octets aléatoires (S est appelé pad ou masque).
- Appliquer ce masque octet par octet au message (généralement avec une opération logique XOR).
Ainsi, si vous ne connaissez pas le masque S, le message EDRJVQUIKEGDNCTUIO peut très bien se décrypter en :
- Ma réponse est oui
- Ma réponse est non
- Le lavabo est bleu
Tout dépend de S !
Si vous n’avez pas S, vous pouvez toujours essayer de décrypter le message : il peut vouloir dire n’importe quoi !
Quelle que soit votre puissance de calcul, vous ne pourrez jamais décrypter le message. C’est une technique très difficile à maîtriser…
- Les octets du masque doivent être réellement aléatoires. Si vous les créez à partir d’un programme, ils ne sont pas aléatoires ! Il devient possible de deviner la suite d’octets du masque.
- Le masque ne doit jamais servir plus d’une seule fois, sinon il devient possible de décrypter les messages suivants. Il faut sans cesse créer un nouveau masque pour encrypter de nouvelles données.
- Le masque doit être de la taille des données à encrypter. Pour 600 Mégaoctets de données à encrypter, il faut un masque de 600 Mégaoctets. Pas toujours pratique à manipuler.
Aussi, pour que votre correspondant puisse décrypter un message, vous devez aussi lui envoyer un masque ! Et cela par un moyen sûr.
Combinez cela avec le fait qu’il est presque impossible de traquer les destinataires du message une fois qu’ils sont insérés dans un pays, il devient clair que la puissance du système « Station de Chiffres » est la méthode parfaite d’une communication anonyme.
Elles utilisent des horaires très rigides ; transmises en plusieurs langues, elles emploient tantôt des voix masculines et féminines. Il y a même une station allemande « The Swedish Rhapsody » qui a transmis la voix d’un enfant de sexe féminin !
De même il est pris en compte les répétitions de chaînes de chiffres ou de lettres phonétiques, ainsi que les emplacements des voix et les différentes intonations. De la sorte, les techniques d’embrouillages sont quasiment infinies.
L’histoire a prouvé que c’est l’une des méthodes les plus sûres. Si tout est correctement appliqué, l’One-Time Pad est le seul système qui a fait ses preuves pour être mathématiquement incassable.
Un masque jetable (OTP) correspond à des feuilles ou des livrets avec des clés qui se composent d’une série de nombres ou de lettres aléatoires.
Le chiffrement et le déchiffrement d’un message ne nécessitent qu’un crayon, du papier et quelques calculs de base. Chaque message est chiffré avec un Pad unique qui est détruit après usage.
De même, les émetteurs à ondes courtes reflètent leurs signaux à plusieurs reprises entre la surface de la Terre et l’ionosphère. Cela permet d’envoyer des messages à des agents situés dans des pays lointains. Les nombreuses réflexions rendent également difficile à localiser avec précision l’émetteur.
Aussi, les très grands émetteurs de 500 000 watts peuvent passer à travers presque tout : sous-sol, bunker, etc. et en toutes conditions climatiques. Certains gouvernements se passent d’une couverture mondiale pour les espions des pays voisins.
Par conséquent, il y a peu de risques d’exposer un agent secret qui reçoit un message. Autrement dit, il suffit d’un récepteur à onde courte simple, commercialisé. Pour recevoir des messages, l’agent n’a pas besoin de récepteur spécial compromettant ou de matériel cryptographique.
Il peut facilement transporter et cacher un grand nombre de masques jetables sur microfilm ou dans des petites brochures. Le système de One-Time Pad manuel, bien que lent et complexe, ne nécessite qu’un matériel succinct.
Conclusion : les stations de nombres sont une méthode de communication idéale à sens unique pour des agents secrets clandestins à l’étranger.
On pourrait penser que ces activités d’espionnage depuis la fin de la guerre froide (officielle) auraient diminué, mais il n’en est rien. Bien au contraire, les espions sont plus occupés que jamais, avec de nombreuses stations nouvelles et bizarres qui apparaissent depuis la chute du mur de Berlin.
La guerre froide est simplement remplacée par une paix froide où l’espionnage est en plein essor. Dans le monde d’aujourd’hui, avec la mondialisation de l’économie, la politique et les conflits sans frontières, des agents secrets et illégaux de l’Est, de l’Ouest, de pays d’Asie et d’Extrême-Orient fonctionnent encore pour recueillir des renseignements et exécuter des opérations.
La vérité sur cette ampleur n’est rien d’autre que l’utilisation de la bonne vieille radio à ondes courtes (longue distance) et le seul moyen pour les renseignements d’échapper à toute surveillance et à toute autre contingence.
Internet, le téléphone cellulaire et les liaisons par satellite peuvent être interceptés et lus. Les traces numériques laissées par ces moyens permettent à n’importe quel organisme ou gouvernement d’identifier l’expéditeur et le récepteur.
Par ailleurs, en temps de conflit, les pays peuvent tout simplement bloquer internet ou toute autre communication, ou même simplement éteindre des satellites.
Toute une panoplie de solutions a été envisagée à leur sujet, certaines sont relativement difficiles à mettre en œuvre comme le tir de missiles antisatellites. D’autres sont plus faciles comme la neutralisation temporaire par une arme à effet de rayonnement dirigé, comme dans le cas de l’initiative de défense stratégique.
« On peut même envisager des solutions ne demandant qu’un niveau raisonnable de technologie. »
Enfin, même avec une constellation satellitaire, il ne faut pas perdre de vue que les satellites nécessitent d’être périodiquement recalés sur leurs orbites dont ils dévient sous l’effet des vents solaires.
Les installations transmettant ces ordres de correction peuvent être détruites en cas de conflit. Les satellites peuvent être eux-mêmes endommagés par des causes naturelles telles que des météores ou des débris en suspension.
Il est toutefois clair que même avec ces défaillances, les gouvernements ne peuvent pas se permettre pour autant de négliger la surveillance satellitaire, et cela quels qu’en soient les coûts pour des raisons stratégiques et de dissuasion.
Pour rappel, les États-Unis ont dépensé des milliards de dollars pour le lancement du plus gros satellite espion jamais mis sur orbite pour le compte du NRO (National Reconnaissance Office).
Le NRO est l’une des 16 agences de renseignement des États-Unis. Elle crée, construit et met en opération de nombreux satellites espions. De plus, elle coordonne la récupération et l’analyse des informations des engins espions des services militaires et de la CIA.
C’est le 21/11/10 que les États-Unis ont lancé, via une fusée Delta IV Heavy de la société United Launch Alliance (UAL), le satellite espion NRO L-32 dont le but est l’écoute des communications. Plus tard, le 24/01/11, pour un coût d’un milliard de dollars, un autre satellite fut envoyé aussi : le NRO L-49. Celui-ci peut prendre des photos haute résolution. Par ailleurs, la fusée Delta IV est la fusée la plus puissante du monde : elle a une poussée de 907 tonnes pour une hauteur de 72 mètres.
Bien entendu, des projets faramineux comme ceux-là, il y en a eu plein et d’autres viendront. Il faut savoir que chaque projet de lancement est marqué par un « Patch-Programme ». En voici quelques-uns : les motifs parlent d’eux-mêmes !!
Pour revenir sur les stations de nombres, malgré tout, elles ne sont pas infaillibles. Elles ont été la cible de tentatives de brouillage intentionnel type « bulle » ou « gazouillis ». Cela était le cas pour la station de la CIA « Cynthia » par exemple.
Ainsi, une guerre d’ondes entre plusieurs organismes tels que la CIA, le Mossad, le KGB, le SIS ou le BND entre autres, mais aussi entre militaires ou ambassades, s’opère sous nos oreilles. D’autres moyens de brouillages sont utilisés, il y a des stations qui servent de leurre mais qui parfois ne le sont pas :
« Il arrive que des stations envoient des messages facilement interceptables en RTTY, avec des voix ambiguës et sinistres. Par exemple, une voix de femme qui entonne des numéros comme si elle s’engageait dans un rapport sexuel. Il s’agit là d’un chiffon rouge, invitant l’auditeur ou l’amateur occasionnel en ondes courtes qui trébuche sur ces signaux de le faire penser qu’il s’agit d’une blague. En fait, parfois, parmi ces signaux il y en a des réels. »
Vous l’aurez compris, ce climat de confusion permet de mobiliser le contre-espionnage, sans parler que certaines stations envoient en permanence de faux messages, juste pour garder les lignes ouvertes, pour être prêtes à l’emploi (comme les actifs militaires opérant sans transmettre à titre d’exercices).
De même, ceux qui surveillent ces stations sont incapables de reconnaître quand une station change soudainement afin d’envoyer des nombres aléatoires pour le trafic crypté opérationnel. Ceci, pour vous dire qu’il y a suffisamment de raisons pour lesquelles les stations de nombres sont encore actives et utiles.
En tout cas, l’ère des stations de nombres est loin d’être terminée. Avec leur longue et exceptionnelle carrière de plus de 70 ans, ces stations sont devenues une icône de l’espionnage. En espérant que ces quelques généralités sur leur sujet vous auront plu.
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